ALERTE EVRAS ?

Apparemment l’EVRAS ou « Education à la vie Relationnelle, Affective et Sexuelle » suscite une opposition incompréhensible. Cette opposition nous interpelle d’autant plus qu’elle s’est exprimée par des tentatives d’incendier six écoles de Charleroi et Liège, des attentats signés par des tags hostiles à l’EVRAS. Nous ne pouvons éviter d’évoquer ces événements sans les rapprocher d’une extrême droite qui relève la tête partout, et qui s’est encore révélée par la distribution de tracts ouvertement nazis dans la ville universitaire de Louvain-la-Neuve. Nous pensons que, d’où qu’ils viennent, ceux qui incendient les écoles nous renvoient aux pages les plus sombres de notre histoire où les nazis ont brûlé des livres en répondant à des ordres donnés par des chefs comme Goering à qui fut attribué la phrase : « Quand j'entends le mot culture, je sors mon révolver ».

Les origines de l’EVRAS à nos jours

Rappelons tout d’abord que l’EVRAS plonge ses racines dans les luttes sociales dont celles des étudiants de la fin des années soixante. Ces luttes ont abouti à un vent de modernité, de libération des moeurs et d’émancipation féminine qui a remis en question des siècles d’oppression religieuse. Le pouvoir religieux considérait que le sort du peuple était déterminé par la volonté divine, que la vie des femmes était destinée à la procréation et que la sexualité était un péché qui, de la sorte, devint un tabou entouré d’une insupportable hypocrisie. C’est dans ce contexte que dès le début des années septante, des cours d’éducation sexuelle ont été progressivement dispensés sous diverses formes dans quelques écoles. Dans les années 80, la nécessité de ces cours se voit renforcée par la pandémie du SIDA et son caractère sexuellement transmissible. En 2012, il fut décidé d’uniformiser ces cours en jetant les bases de l’EVRAS dans un décret approuvé à l'unanimité en Commission de l’Education du Parlement de la Fédération Wallonie-Bruxelles. Le décret du 12/07/2012 introduisait la mission de l'EVRAS comme suit : « La Communauté française pour l’enseignement qu’elle organise, et tout pouvoir organisateur, pour l’enseignement subventionné, veillent à ce que chaque établissement (...) éduque au respect de la personnalité et des convictions de chacun, au devoir de proscrire la violence tant morale que physique, à la vie relationnelle, affective et sexuelle et met en place des pratiques démocratiques de citoyenneté responsable au sein de l’école »

Cependant, l’application de cette étape de l’EVRAS se fera à l’initiative des directions d’établissement qui décideront de le dispenser ou non, ou de le limiter à de simples affiches.

Cette année, pour pallier cette application inégalitaire, à l’initiative des ministres Caroline Désir (PS), Christie Morreale (PS) et Barbara Trachte (Ecolo) les gouvernements de la Fédéra-tion Wallonie-Bruxelles, et de la Commission communautaire française ont décidé de générali-ser l’éducation à la vie relationnelle, affective et sexuelle (EVRAS) dans l’enseignement ordinaire et spécialisé dès la rentrée 2023. Ces cours seront dispensés à concurrence d’un minimum de 2 heures en 6e primaire et de deux heures en 4e secondaire. Soit un total de 4 sur les milliers d’heures de cours dispensés pendant les douze années d’enseignement préparatoire et secondai-re. Au vu de la modestie de ces 4 heures, nous pensons qu'il n'y a pas de quoi fouetter un chat et encore moins de motifs pour incendier des écoles. C'est pourquoi on peut se demander si l'EVRAS n'est pas le prétexte pour diriger ces attentats contre l'enseignement public et la laïcité. La bonne vieille réaction n'a pas dit son dernier mot.

La nécessité de l'EVRAS

En tant qu'étape du développement de la person-ne humaine, l'adolescence est une période de prise de risque accrue qui justifie une réponse pédagogique. Des études montrent que l’éduca-tion à la vie affective et sexuelle en milieu scolaire permet de « diminuer cette prise de risque et donner aux élèves la possibilité de faire des choix conscients » . Dans le cadre de la lutte contre le SIDA, le Programme commun des Nations Unies (ONUSIDA) a effectué une analyse des programmes d'éducation sexuelle. Les principales conclusions sont que « ce type

d’éducation n’encourage pas une augmentation de l’activité sexuelle, qu’elle permet de retarder le moment de la première expérimentation sexuelle, de diminuer le nombre des partenaires sexuels ou de réduire les taux de grossesse accidentelles et de maladies sexuellement transmissibles ». Mais, au delà des risques de grossesses indésirables ou de maladies sexuellement transmissibles, nos chères têtes blondes sont confrontées à d'autres risques générés par des progrès techniques qui ne sont pas toujours au service du progrès de la société ou de l'éducation.

Bijou de technologie, le smartphone est un véritable ordinateur portable qui permet de communiquer, de transmettre des photos et vidéos et d'aller sur internet ou d'accéder aux réseaux sociaux. Si certains avis optimistes considèrent le smartphone comme un objet de partage et de médiation qui favorise les relations entre les jeunes, il faut reconnaitre qu'il permet aussi d'importantes dérives dont notamment de permettre aux enfants d'entrer en contact avec des personnes malveillantes à l'insu de leurs parents. D'autre part, un jeune sur deux déclare être accro à son smartphone au point que celui-ci devient parfois une addiction. Aujourd'hui, 90% des enfants de dix ans découvrent la sexualité par la pornographie dont certaines scènes sont même parfois insoutenables pour des adultes avertis. 10% des enfants de 5e ou 6e primaire avouent avoir transmis des « sextos » (photos à contenu sexuel) les représentant totalement ou en partie dénudés. Il est entendu qu'à ce sujet notre appréciation n'est pas dictée par un souci de défendre la notion étriquée de « bonne vie et moeurs », mais de dénoncer les dangers de l'interprétation erronée que ces images peuvent susciter chez des enfants. Il en va pareillement pour des scènes qui banalisent une violence inouïe ou la consommation de stupéfiants.

Si auparavent le harcèlement scolaire se limitait aux heures de cours et de chemin de l’école, aujourd'hui l'usage du smartphone permet de poursuivre les victimes 24 heures sur 24, pous-sant certaines à se libèrer en recourant au suicide. Actuellement, le harcèlement concerne un jeune sur trois. Rappelons que l'opposition à l'EVRAS est en grande partie alimentée par des Fake News véhiculés sur les réseaux sociaux, lesquels sont avant tout des marchés qui n'ont rien de sociaux et qui nuisent à l'éducation. Parmi les détracteurs de l'EVRAS, l'opposition religieuse considère que l'éducation sexuelle est strictement du ressort des familles en oubliant manifestement que l'inceste est une agression sexuelle plus fréquem-ment intra- que extra-familiale. Alors que cette situation concerne deux à quatre enfants par classe dans toutes les écoles du pays, ce n'est qu'en 2022 que l'inceste a été inclus dans le code pénal comme un crime puni de 10 à 30 ans d'emprisonnement (article 417/18 du nouveau du Code pénal) et que les victimes sont présumées non-consentantes. Une fois de plus, cette sainte opposition nous rappelle le danger de l’immix-tion du religieux dans la conduite des politiques publiques et la nécessité de relativiser l’expres-sion de la « liberté religieuse » ou d' « enseigne-ment libre » qui rime curieusement avec le « marché libre » et la « libre entreprise ».

Dans ce monde de plus en plus immonde où les marchés et le profit prennent le pas sur la morale la plus élémentaire, nous devons défendre l'EVRAS et promouvoir son élargissement pour déconstruire les stéréotypes véhiculés par la pornographie et promouvoir l'éducation à une vie relationnelle en rappelant qu'une relation sexuelle de quelque nature que ce soit est avant tout une rencontre basée sur le respect des personnes, de leur différence et de leur consentement.

MD

ImprimerE-mail