Les "complots de mort" autour d'Assange

La CIA, puis le ministère américain de la justice pourraient prendre des mesures visant à tuer le fondateur de Wikileaks, Julian Assange.

Par Kellie Tranter (avocate, chercheuse et défenseure des droits de l'homme), le 18 février 2024, Declassified

 

Des documents obtenus dans le cadre de demandes d'accès à l'information (FOI) ont révélé un aspect inquiétant des efforts officiels australiens concernant le fondateur de Wikileaks, Julian Assange.

En septembre 2021, le DFAT a pris connaissance d'articles de presse détaillant les plans de la CIA pour assassiner Assange à Londres. Le complot révélé aux journalistes de Yahoo News, qui se sont entretenus avec plus de 30 sources des services de renseignement, impliquait que la CIA envisage d'empoisonner Assange à l'ambassade d'Équateur ou de l'abattre s'il tentait de s'enfuir.

Les documents du DFAT obtenus par Declassified Australia ne font état d'aucune démarche en faveur de la vie d'Assange à la suite de ce développement. Cela ne veut toutefois pas dire que des démarches n'ont pas été entreprises ailleurs.

Aujourd'hui, alors qu'Assange fait face à une extradition imminente vers les États-Unis, un autre risque mortel se profile à l'horizon.

Il est tout à fait possible que de nouvelles accusations soient portées contre lui aux Etats-Unis. Rappelons que 17 chefs d'accusation supplémentaires ont été ultérieurement ajoutés par les autorités américaines au chef d'accusation initial pour lequel il a été arrêté à l'ambassade en 2019.

L'année dernière, des rapports ont fait apparaître que les enquêteurs du Federal Bureau of Investigations (FBI) continuaient d'interroger d'autres témoins à la recherche de nouvelles preuves potentielles contre Assange. La probabilité de nouvelles accusations après l'extradition vers les États-Unis doit être considérée comme une réelle possibilité.

Bien que l'État de Virginie, où Assange sera détenu et comparaîtra devant un tribunal en cas d'extradition, ait aboli la peine de mort, plusieurs lois fédérales susceptibles d'être utilisées pour porter d'autres accusations la prévoient toujours, et ce sont ces lois qui priment.

La législation britannique n'autorise toutefois pas l'extradition d'une personne vers une juridiction où elle risque la peine de mort. On ne sait pas comment, ni même si, le tribunal britannique abordera cette possibilité de nouveaux chefs d'accusation passibles de la peine de mort lors de l'examen de la demande d'extradition des États-Unis.

On peut penser que cette crainte réelle fait partie de l'appel final de l'équipe juridique d'Assange, qui sera présenté à la Haute Cour britannique la semaine prochaine.

Effort de dernière minute

Dans un surprenant effort de dernière minute pour sauver Assange, le parlement australien a approuvé la semaine dernière une motion appelant à sa libération.

Le 14 février, l'indépendant Andrew Wilkie a présenté une motion d'initiative parlementaire concernant Julian Assange à la Chambre des représentants australienne. Cette motion a été adoptée par 86 voix contre 42, y compris le vote favorable du Premier ministre Anthony Albanese.

Voici les termes de la motion :

1 a. Les 20 et 21 février 2024, la Haute Cour de justice du Royaume-Uni tiendra une audience pour déterminer si le journaliste lauréat du prix Walkey, Mr Julian Assange, peut faire appel de son extradition vers les États-Unis d'Amérique ;

b. Mr Assange est toujours incarcéré au HMP Belmarsh au Royaume-Uni, dans l'attente d'une décision quant à son extradition vers les États-Unis pour faire face à des accusations concernant des documents publiés en 2010, lesquels ont révélé des preuves choquantes de mauvaise conduite de la part des États-Unis ; et c. le gouvernement australien ainsi que l'opposition ont tous deux déclaré publiquement que cette affaire n'avait que trop duré ; et

2. souligne qu'il est important que le Royaume-Uni et les États-Unis mettent un terme à cette affaire afin que Mr Assange puisse rentrer chez lui et retrouver sa famille en Australie.

Des documents obtenus en vertu des lois sur la liberté d'information révèlent que des fonctionnaires du DFAT ont défini en septembre de l'année dernière la délégation parlementaire australienne qui s'est rendue à Washington DC pour plaider en faveur de la libération de M. Assange et de son retour en Australie comme "un membre est un député du gouvernement, la délégation ne représente pas et n'est pas mandatée par le gouvernement australien ou le Parlement australien".

Ce n'est plus le cas. Lorsque Wilkie se rendra à Londres pour l'audition d'Assange cette semaine et qu'il fera face aux médias, il le fera avec un mandat très clair de soutien à Assange de la part du Parlement australien.

Les conséquences potentielles auxquelles Assange devra faire face s'il est extradé du Royaume-Uni vers les États-Unis ont été signalées par la ministre des affaires étrangères, Penny Wong, il y a trois ans, alors qu'elle était dans l'opposition. Lors d'un échange de vue au sénat, elle a également posé la question suivante : "Quelles attentes ou demandes ont été faites au Royaume-Uni en ce qui concerne les conditions d'une éventuelle extradition ?"

Mme Wong a insisté auprès des représentants du DFAT sur le fait que Assange risquait de se voir infliger une peine cumulée qui correspondrait "en fait au reste de sa vie" et "qu'il ne serait pas exécuté mais condamné à 100 ans et quelques, ce qui correspondrait en fait à une peine d'emprisonnement jusqu'à sa mort".

Wong a demandé aux fonctionnaires du DFAT s'ils avaient fait des observations concernant les conditions qui pourraient être associées à une extradition. Le DFAT a confirmé qu'aucune démarche n'avait été entreprise.

Les fonctionnaires du DFAT savaient pourtant qu'en vertu de la législation britannique, une personne ne peut être extradée vers un autre pays si elle est passible de la peine de mort. Ils ont reconnu que les États-Unis appliquaient toujours la peine capitale au niveau fédéral et ont admis qu'il était possible que d'autres charges soient retenues contre Assange en cas d'extradition vers les États-Unis.

On ne sait toujours pas si le gouvernement actuel ou la ministre des affaires étrangères Wong elle-même a fait des démarches auprès du gouvernement britannique au sujet des conditions d'une éventuelle extradition, au cas où celle-ci serait ordonnée par la Haute Cour britannique cette semaine. De même, malgré les conséquences personnelles désastreuses pour Assange d'un envoi sur le sol américain, nous ne savons pas si un accord de plaidoyer post-extradition est toujours envisagé.

L'espionnage fait partie des infractions fédérales américaines passibles de la peine capitale. Même lorsqu'ils envisageaient d'expulser Assange de leur ambassade, les Équatoriens ont demandé aux États-Unis l'assurance qu'il ne serait pas passible de la peine de mort. Une assurance verbale a apparemment été donnée à l'époque, bien que l'accusation portée contre lui se limitait alors à une accusation de piratage informatique et ne s'étendait pas aux accusations ultérieures au titre de la loi sur l'espionnage (Espionage Act).

Greg Barns SC, conseiller de la campagne australienne en faveur d'Assange, a déclaré à Declassified Australia :

"L'importance de veiller à ce que Julian Assange ne soit pas condamné par un tribunal américain est monumentale, non seulement en termes de liberté des médias, mais aussi en termes de portée territoriale des États-Unis, qui cherchent à faire taire les éditeurs et les journalistes qui ne sont pas citoyens américains et qui n'ont pas publié à partir de leur pays."

"Si les poursuites contre Assange aboutissent, quiconque révèle des informations sur les opérations de défense et de sécurité des États-Unis s'exposera à une demande d'extradition".

Que se passe-t-il ensuite ?

Quelle est donc la situation d'Assange en ce qui concerne l'éventualité d'une condamnation à mort ? Nous pouvons trouver quelques indications dans le rapport actualisé du Service de recherche du Congrès des États-Unis intitulé : Federal Capital Offenses : An Overview of Substantive Procedural Law (les infractions fédérales capitales : un aperçu du droit substantiel et procédural) publié le 5 juillet 2023.

Les États-Unis pourraient faire valoir que les activités de publication d'Assange constituent un acte d'espionnage passible de la peine capitale parce qu'elles impliquent la divulgation d'informations relatives à des éléments de la stratégie de défense américaine dans l'intention de nuire aux États-Unis ou d'aider un gouvernement étranger, ou de communiquer des informations relatives à la défense nationale à l'ennemi en temps de guerre.

Il n'est pas nécessaire que quelqu'un ait été tué du fait de l'activité, comme c'est le cas ici où les États-Unis sont incapables de prouver qu'une personne a été tuée ou a subi un préjudice du fait des publications d'Assange, et depuis 1954, il importe peu que l'espionnage ait eu lieu en temps de paix ou en temps de guerre.

La question de savoir si des charges supplémentaires entraînant la peine capitale peuvent être présentées est toutefois un peu plus compliquée si Assange est extradé pour faire face aux charges contenues dans l'acte d'accusation modifié actuel. L'article 18 du traité d'extradition entre les États-Unis et le Royaume-Uni intègre la règle de spécialité prévue par le droit international, selon laquelle, sous réserve d'exceptions spécifiques, une personne extradée en vertu du traité ne peut être détenue, jugée ou punie dans l'État requérant que pour l'infraction pour laquelle l'extradition a été accordée, ou pour une infraction différemment qualifiée fondée sur les mêmes faits que l'infraction pour laquelle l'extradition a été accordée, à condition que cette infraction puisse donner lieu à extradition.

Si les infractions passibles de la peine capitale sont "non extradables" au Royaume-Uni, alors tout va bien. Toutefois, le traité permet à l'autorité exécutive de l'État requis (le Royaume-Uni) de renoncer à la règle de la spécificité et de consentir à ce que la personne soit détenue, jugée ou punie pour une infraction différente, même si la pratique habituelle et préférée du Royaume-Uni est de ne pas renoncer à la règle de la spécificité en l'absence d'une disposition spécifique du traité autorisant la renonciation. Malheureusement, la conduite des autorités américaines et britanniques à pratiquement tous les niveaux dans l'affaire Assange a été loin d'être "normale" ou "habituelle", de sorte qu'il n'est vraiment pas prudent de s'appuyer sur des hypothèses de régularité ou des assurances.

En vertu du droit fédéral américain, la peine de mort peut être appliquée indépendamment du fait que l'État dans lequel se déroule le procès dispose ou non de ses propres lois sur la peine capitale. Certains crimes relevant de la juridiction fédérale, notamment l'espionnage, peuvent être passibles de la peine de mort même si l'État dans lequel le procès a lieu ne l'applique pas.

Le fait que l'État dans lequel il est jugé "n'applique pas la peine de mort" ne réconforte donc en rien M. Assange, puisque le gouvernement américain peut toujours recourir à la peine capitale comme sanction potentielle. En effet, de 1988 à octobre 2019, des jurys fédéraux ont appliqué cette peine à huit personnes condamnées dans des États où la peine de mort n'existait pas.

L'application de la peine capitale est soumise à des lois fédérales spécifiques et la décision de l'appliquer est généralement prise par le Capital Review Committee du ministère américain de la justice et approuvée par l'Attorney General.

Compte tenu de l'antipathie exprimée et démontrée par d'innombrables législateurs américains républicains et démocrates depuis plus de dix ans, compte tenu de la manière dont les États-Unis sont revenus sur les assurances données aux tribunaux dans d'autres affaires d'extradition et compte tenu de l'incertitude quant à l'identité de la personne qui occupera la Maison Blanche dans douze mois, Assange, ou une Australie cherchant des "assurances", pourrait-il vraiment se fier à une quelconque garantie de la part des États-Unis, à moins qu'elle ne soit écrite, sans équivoque et sans réserve ?

Il y a plus de deux ans, Yahoo News a révélé que Mike Pomeo, alors directeur de la CIA – qui est le nouveau conseiller stratégique de l'Australie (NdT il a été nommé conseiller stratégique de DYNE Maritime, la société de capital-risque fondée en Australie et basée aux États-Unis auprès du pacte AUKUS) préparait l'enlèvement ou l'assassinat d'Assange en 2017. Les Australiens n'ont jamais reçu d'explication satisfaisante sur ce que le gouvernement Turnbull savait de ce complot américain manifestement illégal contre un citoyen australien, ni sur le moment où il l'a su, ni sur les mesures prises en réponse à ces révélations.

Tout ce que nous savons, c'est que l'ancien Premier ministre, Malcolm Turnbull, et l'ancienne ministre des affaires étrangères, Marise Payne, ont affirmé qu'ils n'avaient découvert les plans de la CIA que "dans la presse". Le gouvernement australien n'a en tout cas pas manifesté d'indignation publique à l'égard du gouvernement de "notre plus proche allié".

Une demande d'accès à l'information déposée auprès du ministère des affaires étrangères et du commerce le 4 octobre 2023 pour obtenir des documents relatifs à l'enquête de Yahoo News a permis d'identifier un document pertinent. L'accès à ce dernier a été refusé pour diverses raisons, notamment parce que "le document comprend un contenu qui a été fourni à titre confidentiel par un tiers extérieur à un agent diplomatique du ministère".

Fin de l'histoire ? Non, loin s'en faut.

Demander des comptes à la CIA

Indépendamment de ce qui se passera cette semaine au Royaume-Uni, l'affaire Kunstler contre CIA se poursuit aux États-Unis. En décembre dernier, la CIA a perdu sa tentatives de rejeter le procès intenté contre elle pour avoir violé de nombreux droits des personnes ayant rendu visite à Assange à l'ambassade d'Équateur.

Il est presque certain que la procédure de communication de pièces dans le cadre de ce litige en cours permettra de mettre au jour de nombreux documents d'information sur l'affaire. Cette affaire pourrait également être l'occasion de contraindre l'ancien chef de la CIA, M. Pompeo, à témoigner. Les révélations faites dans le cadre de cette procédure pourraient s'avérer fort embarrassantes pour le gouvernement australien.

Les enjeux de l'affaire Assange ne pourraient être plus élevés pour les journalistes du monde entier. L'issue de l'affaire déterminera si les États-Unis peuvent demander l'extradition d'un journaliste, quelle que soit sa nationalité, d'un pays avec lequel ils ont conclu un traité d'extradition, pour avoir révélé des crimes de guerre américains.

Et si Assange est extradé et contraint de plaider coupable d'un quelconque chef d'accusation en échange d'une peine relativement clémente purgée en Australie, il entérine implicitement l'affirmation des États-Unis selon laquelle leurs lois ont une portée internationale sur les journalistes du monde entier. C'en est fini de la "presse libre" et de toute perspective réelle d'obliger le pouvoir à rendre des comptes.

Enfin, si le gouvernement australien ne parvient pas à empêcher l'extradition par le Royaume-Uni ou les poursuites par les États-Unis, voire les deux, il montrera également que notre "alliance" avec ces pays ne sera guère plus qu'un acte de soumission.

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