COLRUYT, Hedebouw et la presse aux ordres

 

La campagne électorale a commencé, si l’on en juge par l’empressement de la droite et des médias ordinaires (radios, télés, journaux …) pour fustiger, en toute méconnaissance de cause, la dénonciation de Raoul Hedebouw qui affirme que la plupart des multinationales payent un impôt sur les bénéfices ridiculement bas, en prenant l’exemple de Colruyt (0,27%).

Un commentateur plus prudent que les autres, car plus au fait de ce qu’est l’optimisation fiscale, dit pourtant que ce qu’affirme Raoul Hedebouw n’est « pas tout à fait vrai ». En toute logique, c’est donc que ce qu’il dit n’est pas tout à fait faux. Comment alors s’y retrouver ?

Élargissons quelque peu le sujet : comment font les multinationales pour éluder une grande partie de l’impôt ? Elles payent grassement des avocats fiscalistes, eux-mêmes travaillant souvent pour des banques et des sociétés dont l’objet est de créer des montages financiers destinés à éviter de payer trop d’impôts. Ce n’est pas de la fraude fiscale, qui est illégale, mais de l’optimisation fiscale, légale ou en marge de la légalité, dans une zone grise. C’est en tout cas immoral et incivique.

Pour comprendre un de ces mécanismes parmi de nombreux autres, il faut nous pencher sur ce qu’a inventé le législateur, les Revenus Définitivement Taxés (RDT). La maison-mère de Colruyt fait d’immenses bénéfices en Belgique. Elle devrait être taxée à 25 %, c’est la loi (ce taux était de 33 % jusqu’en 2018, mais notre gouvernement entend volontiers les pleurnicheries du patronat). Pour éviter de payer ce qu’elle doit, elle délocalise tout ou partie de ses bénéfices en investissant au moins 2,5 millions d’euros dans une de ses filiales située dans des pays où le taux d’imposition est bien plus bas (exemples : l’Irlande, le Luxembourg ou encore d’autres paradis fiscaux européens). Une fois les impôts payés dans ces paradis fiscaux, les sommes délocalisées peuvent revenir en Belgique, car on ne paye pas deux fois des impôts, une fois « au Paradis » et ensuite au retour ; c’est logique. Ce sont les Revenus Définitivement Taxés.

Ce qui se passe ensuite « au Paradis » est opaque. Même les spécialistes ont du mal à tracer l’argent qui entre, qui ensuite fait partie de montages complexes qu’il est très difficile de débrouiller.

Donc Colruyt paiera 25 % d’impôts sur les bénéfices qu’elle n’a pas délocalisés, c’est-à-dire fort peu de choses. Il faudra bien sûr ajouter l’impôt perçu au « Paradis ». En Europe, l’impôt va de 0 % (Monaco) à 35 % (Hongrie). L’Irlande impose deux fois moins les bénéfices que la Belgique (12,5%). Dans le cas de Colruyt, le Luxembourg gagne mais la Belgique perd. A l’échelle nationale, ce sont de colossales sommes qui sont perdues pour l’éducation, la sécurité sociale ou l’enseignement.

Va-t-on jeter la pierre aux grosses entreprises ? C’est tentant, d’autant que les gros actionnaires ont un train de vie insolent. Cependant les dirigeants ne font que ce qu’il faut faire pour satisfaire les actionnaires qui, sans de plantureux bénéfices, iraient placer leur argent ailleurs. Il faut être compétitif.

Voilà le maître-mot pour lequel les capitalistes du monde entier mordent et se déchirent : la compétitivité. Dans une compétition, il y a des gagnants et des perdants. Les gagnants sont ceux qui sont capables d’étouffer les petits. Les grandes surfaces ont tué quasi toutes les épiceries. Amazon a liquidé la plupart des librairies aux USA. Les exemples foisonnent.

Raoul Hedebouw a soulevé un lièvre qui gène beaucoup le patronat. Cela explique la réaction irritée de ses représentants; ils n'aiment rien moins que les communistes qui mettent leur nez dans leurs affaires.

 

Marc Tondeur, le 19 février 2024

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