Lanceuses d'alerte

Publié dans Femmes

Femmes debout – Pour la juste information du citoyen

Les problèmes d’aujourd’hui sont multiples. La diversité des sources d’information, les interprétations contradictoires qu’elles diffusent, et le doute sur leur propre fiabilité rendent plus difficile la connaissance de la réalité. En plus, dans certains cas de grande importance, les faits eux-mêmes sont remarquablement dissimulés. Il peut s’agir d’un fait de guerre inacceptable, considéré comme secret d’État par une nation peu encline à avouer ses lourds procédés. Il peut aussi s’agir de la mise à jour de faits de corruption, évasion fiscale, blanchiment d’argent ou encore de défaillances graves dans la qualité de produits.

Ainsi, le 8 mars 2021, jour dédié à la lutte pour le droit des femmes, se tenait à Bruxelles, en dépit de la pandémie de COVID-19, le 101ème rassemblement pour la libération de Julien Assange. Celui-ci était organisé par le Comité Free.Assange Belgium.

Comme lors des précédents (et les suivants…), les participants faisaient appel aux instances politiques belges pour que celles-ci se mobilisent pour venir en aide à Julian Assange, manifestant de la sorte leur soutien à la liberté d’expression, ainsi qu’à notre droit à l’information.

Bien sûr, cela n’est pas intrinsèquement une revendication féministe, mais dans les faits, les femmes sont très nombreuses parmi les lanceurs d’alerte, défendant plutôt un bien commun (le droit à l’information) sans intérêt matériel particulier. C’est sur ces femmes que le 101ème  rassemblement en particulier mettait l’accent.

La question de l’information – le cas de Julian Assange

Pour rappel, Australien d’origine, Julien Assange est le fondateur de WikiLeaks. Il publie en 2010 des documents classifiés étatsuniens, notamment ceux relatifs à un raid aérien réalisé le 12 juillet 2007 à Bagdad et conduisant à la mort de 11 civils, dont 2 journalistes, ainsi que des crimes de guerre en Afghanistan et en Irak impliquant le Royaume-Uni et les États-Unis. En plus d’être un grand journaliste, la fondation de WikiLeaks peut le faire considérer comme un « cyber militant » pour la liberté d’information.

Dès 2010, les USA entament une enquête pour espionnage à l’encontre de Wikileaks. Cette même année, alors que Julian Assange donne des conférences en Suède, il se retrouve au cœur d’une accusation de délit sexuel. En l’absence de preuve, le dossier est clos et il peut quitter la Suède pour continuer son travail aux Royaume-Uni. Mais une procureure suédoise rouvre le dossier et un mandat d’arrêt international contre Assange est lancé. Il est alors arrêté, puis placé en liberté surveillée au Royaume-Uni. Cette situation lui fait craindre une extradition vers la Suède qui servirait de tremplin à une extradition vers les États-Unis. C’est ce qui le poussera, en 2012, à demander l’asile politique à l’Equateur (Rafael Correa en est alors président) et à se réfugier à l’ambassade de ce pays où il vivra sans pouvoir en sortir jusqu’à son arrestation le 11 avril 2019, son asile politique lui ayant été retiré par le nouveau président d’Equateur, Lenin Moreno.

2019 marque aussi la fin des poursuites dues à l’accusation suédoise.

Après son arrestation, Assange est condamné à 50 semaines de prison pour violation de sa liberté conditionnelle en 2012.

Il est actuellement accusé d’espionnage et encourt 175 ans de prison aux États-Unis. Ce qui constitue une attaque au premier amendement de la constitution américaine qui garantit la liberté de la presse. Le département de la justice américaine nie le caractère journalistique de ses agissements.

Incarcéré à la prison de Belmarsh depuis le 11 avril 2019, la justice britannique s’est opposée, le 4 janvier dernier, à son extradition sous prétexte d’un risque de suicide. Mais sa demande de libération sous caution a été refusée, malgré un état de santé de plus en plus précaire. Et, dès l’investiture de Joe Biden, le département de la Justice des États-Unis a réitéré sa demande d’extradition en faisant appel de la décision britannique.

Nombreuses sont les femmes à s’impliquer dans ce combat

CHELSEA MANNING

C’est elle qui a transmis les centaines de milliers de documents publiés par WikiLeaks.

Née Bradley Manning, c’est pendant son incarcération qu’elle commencera sa transition sexuelle et prendra le nom de Chelsea. Chelsea Manning est une femme très courageuse qui a suivi sa conscience en révélant des crimes de guerre. Elle espérait que la révélation pourrait changer l’attitude des populations à propos de la guerre.

En 2010, Manning travaillant comme analyste pour l’armée des États Unis transmet à Wikileaks des documents secrets de la Défense dénonçant le rôle de l’armée des États-Unis et de leur coalition militaire dans des crimes de guerre. Arrêté en 2013, Manning est condamné à 35 ans de prison. Graciée après 7 ans, elle est à nouveau incarcérée à deux reprises pour refus de témoignage contre Julian Assange. Après 301 jours d’incarcération, une tentative de suicide lui vaut sa libération le 12 mars 2020.

STÉPHANIE GIBAUD

Stéphanie Gibaud a travaillé dans la filiale française de la banque suisse UBS à Paris

Elle a joué un rôle décisif en dénonçant les pratiques d’évasion fiscale et de blanchiment de fraude fiscale en bande organisée d’UBS AG (Suisse) avec la complicité d’UBS France. Elle a tout perdu dans le combat.

Cette lanceuse d’alerte est aussi auteure. Elle a expliqué dans son premier livre, « La femme qui en savait vraiment trop », ce qu’elle avait vécu à UBS puis, dans « La traque des lanceurs d’alerte », elle a décrit les risques pris par ceux-ci et les conséquences de leurs dénonciations sur leur vie. Elle écrit actuellement un nouveau livre, « La contre-attaque des lanceurs d’alerte ».

YASMINE MOTARJEMI

Chez Nestlé, elle a lancé l’alerte sur la gestion de la sécurité des aliments.

Si son expertise avait été entendue, de nombreux scandales auraient pu être évités : la contamination de laits infantiles par de l’encre présente sur des emballages, l’adjonction d’une résine synthétique, la mélamine et l’excès d’iode dans des formules infantiles destinées à la Chine. Elle déclare ainsi se battre pour les consommateurs : « En contrôlant la qualité des produits, je ne peux pas tolérer que certains soient commercialisés malgré leurs défaillances ». Mais « une personne qui se bat contre une multinationale a besoin d’un soutien politique et médiatique, là, il n’y a rien. Je suis seule ».

IRÈNE FRACHON

Il aura fallu la hargne d’une pneumologue de Brest, Irène Frachon, pour qu’enfin le scandale éclate. Après plus de trente ans sur le marché, le Mediator, un médicament accusé de provoquer de graves atteintes cardiaques, a finalement été retiré de la vente en 2009. Le 29 mars 2021, plus d’une décennie après, l’affaire a enfin été jugée : les laboratoires Servier, qui commercialisaient le médicament, ont été condamnés pour « tromperie aggravée » et « homicides involontaires »*.

DAPHNÉ CARUANA GALIZIA

Pour finir, n'oublions pas les journalistes. Parmi elles, Daphné était journaliste d’investigation maltaise. Elle est morte assassinée le 16 octobre 2017, dans l’explosion de sa voiture. Ses enquêtes l’avaient conduite à la révélation d’informations sensibles, concernant notamment la corruption. Elle les a payées de sa vie.

De nouvelles règles de protection des lanceurs d’alerte en Belgique ?

Pour transposer dans sa législation nationale de nouvelles règles promulguées par l’Union européenne concernant les lanceurs d’alerte**, la Belgique dispose d’un délai de deux ans. Des partis y travaillent mais la tâche est loin d’être accomplie.

Nous soutenons les lanceurs d’alerte et réclamons leur protection parce que souvent leur persévérance à faire connaître une vérité utile au public conduit à la destruction de leur vie.

Pour le collectif femmes du PCB,

Marlène Wydouw

(avec la collaboration de Marie France Deprez)


* Scandale du Mediator : les laboratoires Servier condamnés pour « tromperie aggravée » et « homicides involontaires ». Le Monde, 29 mars 2021.

** Voir https://data.consilium.europa.eu/doc/document/PE-78-2019-INIT/fr/pdf

Le 18 avril 2021

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